Sylvie Dépraz

J'avais envie de transmettre des choses importantes aux jeunes, mais jamais je ne m'étais imaginée devenir diacre.
D’emblée on perçoit la générosité de son caractère. Sa complexité aussi. Elle se dit timide, mais son rire ample laisse poindre une autre facette de sa personnalité. Elle se prétend tenace, voire têtue, mais s’empresse d’affirmer qu’elle se met rarement en colère. On l’imagine volontiers recueillir, avec affection, les confidences des jeunes qu’elle accompagne.
Sylvie Dépraz partage son ministère de diacre entre la paroisse de Bussigny-Villars-Sainte-Croix et un mi-temps régional pour la jeunesse. Lorsqu’on évoque son parcours, elle lâche tout de suite: «Dieu a dû me donner de sacrés coups de pied pour que j’ose devenir diacre». Référence à toutes ces personnes qui l’ont amenée à envisager un virage professionnel d’envergure. Durant près de trente ans, elle travaille pour la poste. Point de théologie, de mariages ou de groupes bibliques, mais de nombreux contacts et une intensité relationnelle qui permet de dérouler le fil rouge. Elle s’engage dans les relations avec une tendresse qui lui vaut le surnom de «maman». Alors, après ses journées de travail, elle donne du temps à l’Église. A l’Aumônerie de Jeunesse du Gros-de-Vaud, dans des camps de catéchisme où ses talents de cuisinière sont valorisés. Progressivement, elle est invitée à animer un temps de prière, puis une rencontre. On lui suggère même de se former. Mais elle résiste. Elle hésite, elle doute, elle croit qu’elle n’est pas adéquate. Trop ceci, pas assez cela. Voilà que les occasions se multiplient et que sa voix intérieure reçoit des échos. 
Alors elle se lance. Non pas dans le diaconat, simplement dans la formation au Séminaire de Culture Théologique. On verra bien. Devenir diacre? elle pense que c’est trop tard, qu’elle a raté le train. De plus, son papa était plutôt d’avis qu’un ministère est une affaire masculine. Résistance, tiraillements. La croyance est ancrée, mais elle est progressivement délogée par un élan plus fort. Elle sent l’envie de transmettre et d’accompagner les jeunes. Elle aimerait leur permettre de franchir des obstacles, surtout ceux qui se nichent dans leurs schémas intérieurs. Elle veut témoigner de ces limites invisibles qu’elle a su franchir. Raconter sa propre histoire qu’elle peut maintenant regarder en face. Elle est tenace, elle l’assume. Et elle voit les traces lumineuses qui jalonnent sa lente sortie de chrysalide. Par exemple lorsqu’elle découvre que, malgré son âge, il est encore temps de devenir diacre. Il lui faut tout de même encore trois jours de retraite spirituelle dans un monastère pour finalement se décider. Aujourd’hui elle parle de joie dans le ministère, mais elle ajoute qu’il s’agit de tâtonner, de se tromper, de bouger avec un monde en perpétuel changement. A l’image de l’eau, dont l’immobile surface masque des courants qui régénèrent et déstabilisent. Elle les aime, ces rivières et ces lacs, pour y puiser parfois, en solitaire, des courages et des idées. Elle aime l’activité manuelle aussi. Elle mentionne son goût pour l’accueil, la décoration et les plaisirs culinaires, la peinture sur soie qu’elle a beaucoup pratiqué et le jardinage auquel elle aimerait consacrer plus de temps.
Et quand elle évoque la graine qui pousse dans des endroits improbables, on imagine ces fleurs sauvages capables d’embellir les murs les plus gris. Ceux qu’elle côtoie parfois dans son travail et qui la blessent. Une préparation d’enterrement pour une fillette de 11 ans qui fait émerger des grandes questions existentielles sur la justice. «La vie ne se compte pas en jours» assène Sylvie d’un ton paisible et assuré, «mais c’est parfois difficile à accepter». Elle ne craint pas le doute ou le découragement parce qu’elle se rappelle toutes les fois où elle a pu porter, pour d’autres, cette lumière et ce soutien. Elle se remémore cette autre fille, un peu perdue face à un employé des pompes funèbres. Lorsqu’il lui demande si elle connaît un ecclésiastique pour l’aider à surmonter son chagrin, celle-ci tremble un peu. Et soudain ses yeux pétillent quand elle lance:  oui, Sylvie!». Les yeux de la petite brillent encore dans le regard de la diacre. Elle se voit comme un repère, une grand-maman qui pourrait élargir le cercle de ses deux petits-enfants et y intégrer tous ceux qu’elle rencontre. Sa pudeur masque à peine un cœur qui voudrait embrasser la planète entière. Mais elle ne vit pas dans une bulle, elle avoue vite qu’elle n’est «pas compatible avec tout le monde» et une ombre passe sur son visage. Complexe, c’est certain, mais si riche de cette empathie souriante qu’on aurait envie de s’engager dans son groupe de jeunes, par pur plaisir.
Load More
Fail to load posts. Try to refresh page.